Je suis français, africain et musulman. Pour beaucoup cela est contradictoire. Cela n'est pas de « souche ». Car « du corps français traditionnel cela n'est pas ».
Je suis jeune mais je n'ai pas de casier. Je ne suis pas joueur de foot et j'aimerai changer le monde. Je veux être un sage mais on me veut singe. Et si par malheur, il m'arrivait d'avoir l'audace de montrer l'au-delà des limites que l'on m'assigne, par l'infini que j'abrite et qu'indique instinctivement ma soif d'aller plus loin. C'est d'un sourire au coin, accompagné d'un regard tout repu de suffisance, que d'un doigt l'on me pointe « la chance d'être là où vous êtes monsieur, soyez en heureux ». A leurs yeux, j'étais la cage que m'imposait leur case. J'étais définitif.
Longtemps j'y ai cru: «tous les êtres humains naissent libres et égaux». Naïvement, longtemps, j'ai cru en la force de ce discours, qui promettait l'avancée libre de chacun en fonction de ses désirs, rêves et potentiels. Longtemps j'ai cru ne devoir avoir d'obstacles que ceux, naturels et inévitables, que la vie imposait bon gré, mal gré. Mais les hommes ne sont pas égaux si on leur refuse les moyens de leur réalisation pleine. Les droits sans les moyens sont des chimères.
«J'ai fait le rêve» qu'entre «les enfants de la patrie», sur l'étendard duquel claquent en lettre d'or les mots « liberté, égalité, fraternité », il ne pouvait y avoir de discrimination d'ordre racial, social ou religieux. Que la dignité de chacun était à respecter dans ce qu'elle avait d'irréductiblement humain et atemporel. Mais les rêves de grandeur dans leur juvénile fragilité et début d'éclosion, de tout temps, se fracassent les dents au son du «marche ou crève» qu'intime à pas de canard, un ordre où l'humain devient un dossier que l'on range ou une ressource que l'on capitalise. Mais jamais, non jamais, un être, un rêve, qu’on sert et qu’on élève.
C'est que « les rêves », dans les précarités qui perdurent, sont des songes qui «soporifient » bien plus qu'ils n'éveillent. Ils sont les mensonges qu'une salve de lois et de liturgies médiatiques, propagent et protègent dans une houlette de considérations universelles et humanistes, qui se ferment et se transforment au gré des polémiques et intérêts «généraux» bien particuliers. Drapés d'un universel abstrait qui se meurt de "fin", les droits de l'homme, comme beaucoup de belles idées devenues idéologies, peuvent être les alibis qui laissent mourir l'humain, cette fois de faim.
Hitler et Staline parlaient aussi d'humain. L'un en faisait un matériel (le matériel humain) et l'autre un capital (le capital humain), comme aujourd'hui l'on parle de « ressources » humaines. Le « rêve » qu'ils firent de l'homme, fut le cauchemar de millions d'êtres humains sacrifiés sur l'autel de leurs carnassières ambitions. L'humain était devenu une chose, un produit, au même titre que les matières premières ou les marchandises. Sont-ce là les réminiscences de ce cauchemar qu'aujourd'hui nous sert le Tout Marché, dans son regard sur les travailleurs et les immigrés réduits à de simples variables de réajustement de profit ? La réduction des hommes à une ou des fonction(s) bien déterminés, à une identité bien particulière et exclusive, ne serait-elle pas de la même petitesse et perversité qui plongea le monde dans le chaos qui, durant 30 ans (de 1914 a 1945), déchaina guerres et crises sur l'humanité et faillit couter la vie au monde ? Le scénario de guerre des civilisations, issu d'un occident qui ne sait régler ses crises qu'à coup de massacres planétaires, s'essayerait elle en identité coloniale, pardon nationale, revancharde, en France ? La précédente "orgie" mondiale de sang, n'avait-elle pas ainsi commencée ? C’est ainsi le requiem de « l’étrange défaite » qui se joue dans cet orchestre de polémiques racistes, assourdissant et aveuglant, au service des planificateurs de guerre de civile.
Ainsi « L'identité nationale » est une pimbêche accroupie que viole le pouvoir de l’argent, après l'avoir dépouillée d'elle-même et lui avoir volée la mémoire pour mieux recommencer. Les polémiques et haines lorsqu'elles s'érigent en politiques deviennent les « cracks » et « shoots » d'une société sans lendemain visé. La vision fait le peuple, les détails en font une populace et l'épouvantail sa soumission et sa mort.
Car c'est de cela dont il s'agit : de soumission. Que l'on ne s'y trompe pas. Le racisme et le mépris envers les musulmans, les immigrés, les précaires et les classes populaires, assumés par les classes dirigeantes, n'indiquent de réalité que le désarroi moral, politique et intellectuel de ces derniers, qu'ils tentent de conjurer dans la haine naine et vaine contre "l'autre", contre nous.
« Ils y ont cru les gars, disent-ils dans leur cénacle. Ils se pensent français maintenant. Voilà qu'ils parlent comme nous, de droits de l'homme et de dignité humaine. Il y en a même qui se voient Président, Député, élus. Certains le deviennent dans leurs quartiers !!!
Vite, tant qu'il est encore temps ! Changeons donc lois et normes. L'homme dans les droits de l'Homme, nous pensions ne pas devoir le spécifier, c'était l'homme blanc, l’homme riche. Cela était évident. Rappeler leur rang ; les maintenir dans le rang. Tel est le mot d’ordre.
Ne leurs suffisait-il donc pas que l'on fasse d'eux « le pote qu’on ne touche pas » ? Ne leur suffisait il donc pas que nous parlâmes à leur place? Que nous portâmes leurs revendications sur la grande place ? Donne-leur un doigt et ils demandent leurs droits.
Comment ? Ah ! Maintenant ils disent "sans nous, pour nous c'est contre nous"... ils savent parler en plus. Ils... ils sont frrr... aan...çaais !!? Mais attendez un peu, la France c'est "nous". Nous, sexagénaire avariés, mâles et « visages pâles », qui siégeons à l'assemblée et cumulons bourdes et mandats. Mais n'y a-t-il donc personne pour le rappeler ? Il faudrait peut-être l'inscrire dans la constitution, même entre parenthèse, en préambule. Après tout, n'avons-nous pas faillit réussir à rajouter dans la constitution européenne l'idée (il y a soixante-dix ans inexistantes et impossible) que l'Europe était exclusivement « Judéo-chrétienne » ? Contre l’Islam évidemment. Mais chut !
Et la laïcité ? Oui cette trop chère laïcité. Ne pourrait-elle pas nous servir à les soumettre, à les niveler, à leur montrer que nous sommes les maitres ?
Comment ? Quoi ? La neutralité de l'État ? La loi de 1905 ? La liberté de conscience et de chacun ? L'égalité de tous devant la loi ? La fraternité ? Mais par quel miracle entre un noir et un français, un "beur" et un blanc, peut-on trouver des liens de sang !!!? D'ailleurs dans "neutralité" il y a "neutralisation". Non ?!! Et puis, lorsqu'une chose manque il suffit, pardi, d'en mettre le mot.
Voyez et comprenez ! Tant que la liberté, l'égalité et la fraternité seront absentes dans les faits et politiques, leurs places sur les frontons des établissements publics seront d'autant plus justifiées. Il faut communiquer pour faire croire. La laïcité sera l'illusion de plus qui cachera son absence. Ajoutons-le à la devise, ça fera bien. Certains, d'ailleurs, nous emboitent le pas. Voilà qu'ils l'écrivent en gros dans les mairies et autres lieux administratifs. Plus c'est gros, plus... vous connaissez la suite.
On pourra même l'imposer aux Quiks et autres « fast food ». Il nous faut une viande et des cerveaux certifiés laïques. La vie devient cher? Détournez l'attention sur le « kasher ». Au "karsher" le halal !
Diversité, assimilation ou intégration ? Voyons messieurs un peu de lucidité ! Ce ne sont là que des mots qui ne doivent signifier qu'une chose : notre domination ; leur soumission. Les races supérieures ont des droit sur les inférieures: les exploiter. Chacun sa place ! Ces « indigènes » doivent le comprendre ! On peut être potes mais pas frères. Ils sont gueux, soyons un!
Le temps des chaines est révolu. Certes. Sauf de celles qui ne se voient pas. La colonisation c'est dans la tête. Il doivent l'assimiler et s'assimiler. Oui, il est vrai qu'ils les brisent aujourd'hui. Le foot, la chanson et les rires ne les suffisent plus. Mais il faut les mater. Les contrôler en leur donnant ce peu qui nous permet de leur en prendre plus.
Eliminons leurs fils. Libérons pour nous leurs femmes. Accusons leur communauté. Jetons l'opprobre sur leur religion et leurs ancêtres. Que leurs solidarités soient accusées de communautarisme, pour que notre "race" soit la République immaculée. Des révoltes? Non, des émeutes. Dans la peur, le troupeau confondra la flamme avec l'incendie. Nous éteindrons ainsi la première, en soufflant sur les braises de la haine.
Pour nous, pour notre meute, il nous faut un peuple populace. Les gens ont faim ? Donnons-leur des jeux. Ils veulent du travail? Montrons les immigrés. Ils voient les milliards que leur coûte nos fraudes fiscales? Mettons les projecteurs sur l'aide sociale du voisin.
L'ennemi intérieur: telle est la solution à tous nos maux. Les traitres d'hier, à Vichy, sont là pour eux, à Clichy. Laissons les faire; recrutons leurs frères. Ils aiment la matraque; livrons leurs ces macaques. Que leurs "sangs impurs abreuvent (comme hier) nos sillons et tranchées". Et que la mémoire des trahisons d’hier (l'antisémitisme) servent à justifier les injustices d’aujourd’hui (l'islamophobie). Ils restent en bas, nous sommes en haut. C'est le "projet final". N'attendons pas l'avenir».
Assis près de la concorde, me remémorant face à l'obélisque 93 décapitant 89. Je compris, amer, qu'en ces temps "d'identités meurtrières", la « cinquième colonne » tant décriée par les idiots, si décryptée par les médias, n'allait servir qu'à une chose : justifier la matraque au service de l'ordre. Le peuple n'aura de choix qu'entre serrer les dents ou enfin se réveiller.
Clichy, Un jour de février 2010
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