Le coup d’État au Niger fait grand bruit. Et le choix de la CEDEAO d’intervenir militairement pour contrecarrer cette action, donne à l’évènement un écho international des plus significatif, à l’aune de l’actualité mondiale marquée par la rivalité sino-américaine et celle, plus globale, qui oppose l’Occident et les BRICS. Si la guerre en Ukraine, qui oppose la Russie et les Etats-Unis, et les tensions autour de Taïwan, qui opposent les USA et la Chine, cristallisent géographiquement ce conflit mondial multidimensionnel, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique en général, sont en train de devenir l’un des terrains de cette rivalité géopolitique et stratégique entre grandes puissances mondiales et régionales.
Clairement, le monde africain, tout comme le monde arabe, et le monde musulman qui les englobe, seront d’un apport décisif pour la victoire de l’un ou l’autre camp qui s’affrontent pour l’hégémonie mondiale. Et il est en conséquence de l’intérêt, sur le plan économique, énergétique, militaire, industriel, géostratégique et géopolitique de ces puissances, d’assurer leur présence dans cette partie du monde.
C’est à l’aune de cette reconfiguration actuelle de l’ordre mondial, qu’il nous faut saisir les conséquences géopolitiques et politiques des coups d’États successifs qui ont eu lieu en Afrique de l’Ouest : au Mali, au Burkina Fasso, en Guinée et au Niger.
Des coups d’État contre la France-Afrique
Ces pays ont pour dénominateur commun d’être d’anciennes colonies françaises et d’être restés dans le pré-carré de l’ancienne puissance coloniale, après les indépendances, à travers la « France-Afrique ».
La France-Afrique est en effet le système pensé et mis en place par la France, pour que perdure son empire colonial et ses avantages, au-delà des indépendances octroyées aux territoires et pays qui la composent, en leur confisquant les conditions et moyens de la souveraineté et de leur liberté. Ces conditions de la souveraineté sont les suivantes :
1- La force militaire.
2- La puissance diplomatique.
3- Le pouvoir monétaire.
4- Les richesses naturelles et minières.
5-Le principe symbolique (religieux-philosophique) qui relie ensemble ces conditions dans le sens de son projet.
Cette non souveraineté des pays africains, organisée par la France, s’est réalisée par, d’une part, la division politique du territoire (AOF et AEF) en de petites entités non viables, pour ne pas laisser à la disposition des peuples de cette région, un patrimoine géographique trop important, capable d’assurer leur souveraineté matérielle et économique ; et d’autre part, en brisant l’uni-diversité culturelle des peuples de la région, afin de ne pas leur laisser un patrimoine historique trop important, capable d’assurer leur indépendance spirituelle et intellectuelle. Ce qui met ces peuples et leurs États ainsi créés, dans une carence politique initiale et en situation de besoin économique permanent, qui les condamnent à être des protectorats de fait, au sein de l’empire France-Afrique, dirigé par la France selon ses intérêts, contre ceux des populations dominées, avec la complicité des dirigeants locaux, qui ont pris le relais des gouverneurs coloniaux. C’est ce système, suite historique de l’empire colonial français, qui est en train d’être mis à mal par les populations et ces coups d’État qu’elles soutiennent, et dont celui du Niger, au vu des enjeux mondiaux, est un paroxysme.
Enjeux, stratégies et jeux des acteurs
Ce contexte nous met face à trois enjeux :
1- La libération en cours des populations de cette région et la conquête par elles des conditions de la souveraineté.
2- Le maintien de la présence française et la préservation de ses intérêts, qui s’opposent au processus de libération en cours.
3- Le remplacement de la France par les puissances régionales et mondiales rivales et le basculement de la région, dans le conflit mondial économique et militaire pour l’hégémonie, sous le contrôle de l’un ou l’autre camp.
Le projet de libération (1) et celui du remplacement (3) peuvent trouver à court terme des intérêts communs, pour s’allier contre la démarche du maintien de la présence française et de la France-Afrique fragilisées (2). Si cela ne fait pas de doute du point de vue des non-occidentaux (Chine, Russie, Turquie, entre autres) qui veulent évincer la France. Les États-Unis peuvent vouloir, de leur côté, affaiblir l’Europe (et donc la France) pour la maintenir dans son giron, en contrôlant son approvisionnement africain en gaz et en pétrole (projet gazoduc Nigéria-Niger-Algérie notamment), et la rendre ainsi dépendante de son gaz de schiste, après l’avoir coupée de son approvisionnement russe. Ce qui peut expliquer en partie, l’attitude plus « conciliante » des USA vis-à-vis des auteurs du coup d’État au Niger, prenant à contre-pied l’approche française ouvertement belliqueuse, avec pour seule limite à ne pas franchir, l’alliance avec ses rivaux chinois et russes.
Cependant, à long terme, il est clair que le processus de libération, au-delà du « dégage la France », se verra en opposition avec les intérêts des grandes puissances euro-étasuniennes et sino-russes, s’il emprunte la voie de la souveraineté. Pour la simple raison que leur hégémonie capitaliste, et donc impérialiste, a besoin de nous mettre en situation de périphérie, fournisseuse de matières premières et de débouchées pour leurs produits.
Il s’agit donc de ne pas remplacer la France par un autre « partenaire » tout aussi colonial, raciste et dominateur. Il n’y a point de salut dans la dépendance à un autre pays. C’est dans ce contexte qu’il faut entrevoir le renforcement possible de la France par les États-Unis, si Washington estime devoir s’en servir comme moyen subalterne pour préserver ses intérêts, pouvant lui éviter une intervention directe. Une autre stratégie peut aussi être adoptée, de la part des occidentaux, s’il s’avère qu’ils ne peuvent plus préserver leurs intérêts et empêcher l’installation des puissances rivales : le chaos généralisé, en s’appuyant sur les failles des États et sur des éléments internes qui contestent l’autorité et/ou portent un autre projet de société.
Les trois projets politiques concurrents en Afrique de l’Ouest : nationaliste, ethnique, sectaire
Trois projets politiques sont en concurrence dans ce contexte d’États ouest-africains en faillite et de changement de l’ordre mondial :
1- Celui des nationalismes étatiques laïques (qui comprend les dirigeants et leaders des actuels États, issus des élections, de l’opposition ou des coups d’État militaires) qui s'opposent, pour s'affirmer, à la tradition spirituelle et culturelle large et globale des peuples d'Afrique de l'Ouest.
2- Celui des nationalismes ethniques et tribaux (les organisations politiques, qui disent représenter des touareg ou des peuls, par exemple, qui revendiquent un État pour eux, ou l’organisation du pouvoir étatique en privilégiant l’ethnie et la tribu du dirigeant) qui divisent la société et son unité multiculturelle millénaire.
3- Celui des sectarismes politico-religieux ou ethnico-religieux (les différents groupes islamistes et djihadistes à visée tribale, nationale ou régionale) qui abiment le principe religieux symbolique et divise la société et sa diversité religieuse assumée depuis des siècles.
L’ensemble de ces projets politiques et leurs acteurs, au vu des conditions de la souveraineté et de la libération (unité géographique, unité historique, unité symbolique, souveraineté économique et pouvoir collectif délibératif), sont des continuateurs et des alliés objectifs, directs ou indirects, de la France-Afrique. Car ils accentuent la division géographique, culturelle et politique voulue par la colonisation et la domination: le premier, étatique, en ayant comme horizon le seul maintien des États-protectorats et leurs frontières, malgré leur échec à réaliser la souveraineté et la prospérité. Le deuxième, en provoquant une division territoriale plus grande et une guerre civile ethnique. Le troisième enfin, en accentuant la division sociale, par l’exclusion de tous ceux qui n’entrent pas dans leur vision sectaire et étroite de la religion, utilisée, contre ses finalités, comme moyen de conquête du pouvoir. En d’autres termes, ces projets politiques et de société, sont des soutiens objectifs, à leur corps défendant ou pas, de la domination coloniale et de la France-Afrique.
Ces erreurs stratégiques qui persistent de la part des élites et des populations africaines
Il nous faut aussi parler de certaines erreurs stratégiques qui persistent depuis les indépendances, de la part des élites (modernistes et religieuses) et des populations africaines :
1- Se limiter à réagir contre la France.
2- Ne se préoccuper que de l’aspect politique-institutionnel d’accession au pouvoir et des apparences de l'indépendance et de la souveraineté.
3- Penser l’État et la modernisation contre les principes et valeurs spirituelles et l’expérience historique des peuples.
La refondation de l’État et de la société dont nous avons besoin dans cette région, ne peut se faire sans le traitement concomitant de la question du sens (que l’on évite sous le prétexte fallacieux de laïcité), de l’organisation du pouvoir (qui se contente d’imiter l’expérience occidentale sans autres formes d’innovation et de dépassement), et de la production et redistribution des biens (qui de fait se font selon une vision néolibérale non débattue). Ainsi, le seul débat sur les institutions et les élections est un leurre qui nous maintient dans l’illusion de la fausse indépendance et dans le bavardage sans conséquence, telles des manchots qui parlent de l’art de manier le sabre, sans sabre ni bras.
Les voies de la souveraineté et de la libération: " Les États-Unis d'Afrique de l'Ouest"
Dépasser les frontières, l’émiettement culturel et la guerre civile ethnico-religieuse, soit les conditions de la colonisation et de la France-Afrique, ne peut se faire qu’à travers le projet politique d’un grand ensemble que nous appelons les "États-Unis d’Afrique de l’Ouest", qui intègre les États existant dans un empire démocratique délibératif (sur le plan institutionnel) et solidaire (sur le plan économique et social). Ceci pour ce qui concerne l’horizon politique.
Mais cela, aussi, ne pourra se réaliser que sur la base d’un projet de civilisation à dimension cosmique, qui dépasse l’actuelle globalisation, et d’une vision du monde qui réconcilie le temporel et le spirituel, le divin et l’humain, l’ici-bas et l’au-delà, afin que l’homme, la société et la nature ne se réduisent pas qu’à de simples ressources à exploiter, au profit d’une caste qui se croit divine et supérieure au reste de l’Humanité qu’elle divise. Cela demande un plus grand développement. Ce sera le but des prochaines publications.
Cher Ousmane, excellente analyse et belle vision/proposition. Il n’y aura point de salut sans réconciliation de l’être humain avec l’au-delà et l’ici-bas, aussi bien en Afrique de l’Ouest que partout ailleurs.
Très bon diagnostic de la situation. Je partage aussi les réformes à entreprendre. J'ajouterai aussi que la corruption en Afrique a atteint son paroxysme et les pseudos démocraties misent en place sont nul autre que des dictatures, avec des armées, tout aussi corrompues et ne protégeant pas la souveraineté du peuple mais le confort de leurs dictateurs.
Les récents soulèvements au Burkina, au Niger, au Mali et depuis peu, au Gabon laissen enfin entrevoir une lumière au bout du tunnel.
Maintenant que le Gabon rentre dans la danse, comment vont réagir La France et leurs sbires (CEDEAO) alors qu'il estimait que le Niger était le coup d'État de trop. Auront-ils la même rhétorique envers le Gabon ? Là où les…