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Vers un post réformisme musulman: Le Dépassement


Minoritaires mais spectaculaires, les groupes néo-fondamentalistes djihadistes, à l’œuvre au moyen Moyen-Orient et au Sahel, interrogent par leur existence, à plus d’un titre, l’état du monde musulman, particulièrement après l’événement planétaire que fut le soulèvement des peuples Arabes.

L’espoir suscité par cet évènement et l’arrivée des islamistes légalistes aux pouvoirs après les élections qui suivirent, ont laissé place à une sourde déstabilisation de toute la région. L’idéologie islamiste, au vu de ces faits et de l’avancée spectaculaire des groupes néo-fondamentalistes, semble montrer au grand jour ses limites paradigmatiques telles qu’annoncées par le livre «l’échec de l’islam politique» d’Olivier Roy(1). Le néo-fondamentalisme n’est en effet que le symptôme de la dégradation de l’islamisme et du salafisme traditionalistes et, au-delà, de la salafiyya réformiste dont ils sont issus.

Née au cours du XIXème siècle, la salafiyya réformiste dont est issu l’islamisme et le salafisme, avait en effet trois objectifs(2) :

  • Libérer le monde musulman de la domination occidentale

  • Permettre l’unité de la Oumma Islamique

  • Et enfin moderniser la société musulmane pour rattraper et tutoyer l’occident dans le leadership mondial

Pour ce faire, la salafiyya a pensé l’état de retard et de domination des musulmans à travers le prisme des cadres de l’islam tel que élaboré par les pieux prédécesseurs (salaf salih) du troisième siècle de l’Hégire. Cela afin de revenir à une compréhension et pratique épurée de l’islam. Le retour à ces derniers devait permettre l’enclenchement de la renaissance (nahda) civilisationnelle de la nation musulmane, et l’utilisation des avancées scientifiques de l’Occident de façon adaptée aux valeurs musulmanes. En effet, afin de trouver les moyens de se libérer du joug colonial, les leaders du réformisme musulman ont ainsi dû mobiliser la sève islamique de la société. Faisant du passé glorieux, du mode de pensée et de vie des salafs salih, confondu avec les principes de l’Islam, l’idéal mobilisateur de la résistance intellectuelle, culturelle et politique des nations musulmanes.


De ces trois objectifs, aux dimensions socio-politiques, que prendra en charge l’islamisme, et théologico-culturel, que prendra en charge le salafisme, seul le premier a été atteint. Les indépendances ont en effet concrétisé les années d’effort et de résistance (djihad) contre la colonisation. L’unité du monde musulman et la modernisation des sociétés musulmanes n’ont par contre aucunement étaient atteints.


C’est de ces échecs que semble provenir le néo-fondamentalisme salafiste et djihadiste actuel, qui est plus l’expression d’un vide idéologique que celui d’une proposition d’alternative répondant à la crise profonde du monde musulman. Crise que l’anthropologue Clifford Geertz expliquait comme provenant d’une «rupture entre l’esprit religieux (Islam) et la religiosité (islamité) »(3). Crise que la mobilisation idéologique de la salafiyya n’a pas solutionnée en sa racine. Et ce, en raison de la nature même du mouvement et de ses ressorts.


C’est en effet, la situation et l’urgence politique qui ont commandé l’action et la pensée réformiste musulmane. Ce qui n’a pas permis une réflexion profonde sur le plan philosophique et théologique, et donc sur le contenu même de la foi et de la vision du monde, susceptible d’opérer un changement de cap radical. Ainsi la salafiyya réformiste en se contentant d’idéaliser l’islam des anciens (musulmanisme) et de l’idéologiser (islamisme), n’a pas su dépasser la réaction suscitée par l’hégémonie et la colonisation occidentales. Avant tout réactive et défensive, la pensée réformiste salafi, qui est devenue pour une large part, celle de la pensée musulmane contemporaine tout court, n’a pas pu inventer un nouveau modèle religieux adapté aux nouvelles données cognitives apportées/imposées par la modernité occidentale.


C’est cette absence d’alternative sur les plans paradigmatique, philosophique et méthodologique, qui marquera l’évolution de la salafiyya. La création n’ayant ainsi pas pris le pas sur la conservation et négation, dans cette pensée mère qu’est le réformisme salafi, le néo-fondamentalisme salafiste actuel, qui est volonté de ré-islamisation (pensée comme désoccidentalisation) de la société par le contrôle des mœurs par l’État, en est la conséquence somme toute logique. Et ce phénomène semble devoir perdurer tant qu’une alternative profonde n’aura pas produite une «vision religiosité coranique, cosmique et moderne» qui permette le dépassement du “musulmanisme” (qui est le cadre religieux née après le Prophète, devenu un carcan) et du réformisme musulman. Sans pour autant tomber dans un modernisme occidental en crise, dont le post-modernisme et les crises successives nous montrent les limites.


En d’autres termes, il s’agit de produire une modernité cosmique et coranique qui soit d’une part, continuité, rupture et dépassement de l’islam religion (musulmanisme), par l’Islam révélation (adhésion à la paix de Dieu); et d’autre part une proposition de réforme et de révolution du modernisme occidental fossilisé et de dépassement du post-modernisme dissolu. Cette double action de réforme, dans le champ strictement islamique et dans celui universel mondial, corseté par le modernisme (et non la modernité) européen, ne font en réalité qu’un et concerne l’être humain, en tant que tel, en ce qu’il a de plus fondamental et cosmique. Aucune alternative concernant une religion, une région, un domaine particulier de l’humanité, au vu de l’interdépendance et interconnexion du monde, ne pouvant à nos jours en être véritablement une, sans le concours et la prise en compte de toutes les dimensions qui fondent l’humanité et le devenir de tous les hommes. Nous ne nous en sortirons pas sans les autres et les autres ne s’en sortiront pas sans nous.


Un tel projet, pour devenir réalité, devra recevoir le concours de certaines conditions résumées à travers les points suivants, que nous espérons développer en d’autres écrits:

  • Un rapport et une connaissance directe de la révélation et de la création. Ce qui exigera la mise à disposition d’une méthodologie/philosophie, accessible à tous, de lecture de l’univers coranique et de l’univers cosmique ainsi que leur interaction. Les sciences du tafsir, de ce fait doivent être mise à l’écart car elles sont, de fait un obstacle à la méditation directe de la révélation du Coran en raison de la sacralisation qu’elle fait des règles et commentaires des anciens. De plus les sciences humaines et de la nature doivent, de leur côté, être dés-idéologisées afin qu’elle ne soient pas un obstacle à l’expression créative et interactive de la conscience humaine dans ses résonances avec le cosmos. En d’autres termes, il faut libérer le Coran et délivrer la pensée humaine des prêtres et des experts, qui les figent par leur commentaires pour livrer les consciences au pouvoir.

  • Une synthèse critique de l’héritage spirituel et philosophique des nations du monde servant à percevoir le cœur unique de toutes ces traditions, les raisons de leurs spécificités et les déviances introduites par le temps et les conflits de pouvoir. Cela afin d’aider à une réforme interne de chacune par rapport à ses fondements et externe de toutes par rapport au cadre universel cosmique élevé et coranique révélé). Il s’agit de cesser l’opposition/uniformisation stupide et dangereuse entre la réalité humaine et son potentiel infini et l’idéal divin et sa puissance absolue. La divinité n’est pas l’humanité ; mais la seconde ne peut se développer sans la première qui ne s’oppose point à elle et lui propose de s’élever vers elle en être libre et responsable. Pour ce faire, une conception nouvelle de Dieu et de l’humain doivent émerger de la relation révélation-création.

  • Une politique éducative et sociale d’élévation, d’autonomie, de solidarité et d’interaction saine des personnes et peuples (nous ne disons pas individus). Une politique (ni étatique, ni de marché, mais populaire) qui permette l’indépendance vis à vis des pouvoirs religieux, idéologique, politique et financier, ainsi qu’une lecture libre et donc créative, sans idole, ni intermédiaire, de la révélation-création, qui favorise l’éclosion des potentiels que le poids de ces pouvoirs étouffe.

Tels sont les enjeux que soulèvent la question du post-réformisme musulman. Loin de ne concerner que le monde musulman, il est une prise de conscience des limites cognitives, religieuses et politiques des cadres de pensée et d’action qui gouvernent les rapport (négatif ou positif) de l’humanité avec elle-même, la nature et le divin. L’état du monde appelle la venue d’une pensée cosmique capable de contenir, préserver et féconder l’unité et la diversité. Une pensée qui sache féconder l’unité du monde par la diversité des hommes, dans la quête de l’idéal vrai, à la fois au-delà, pour donner à notre infini l’évolution de ses expressions ; et à porté de cœur, pour se nourrir et grandir à son contact, dans une relation directe, belle et aimante. Et ainsi continuer l’écriture, sous son inspiration divine, par l’humanité, de la création cosmique sur les pages infinies de la vie et son renouveau. Les prémisses d’une telle pensée post-réformiste sont-elles observables dans le monde musulman en crise ? C’est la question à laquelle nous tenterons de répondre dans un prochain article.


 

1 ROY Olivier, L’échec de l’islam politique, Seuil, Paris, 1992.

2 RAMADAN Tariq, Aux sources du renouveau musulman, Éditions Tawhid, Lyon, 2002.

3 ADDI Lahouari, Deux anthropologues au Magrheb : Ernest Gellner et Clifford Geertz, Éditions des archives contemporaines, 2013.

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